Chatte sur un toit brûlant

photo : Benoït Linder

Dans un huis-clos anxiogène, une femme est prise entre deux feux : son ex et son actuel mari lui demandent des comptes. Durant les répétitions, Cyril Pointurier (Cie Orchestre Seconde) évoque sa mise en scène de Créanciers d’August Strindberg.

La lumière est douce sur le plateau du Taps Scala, mais la tension monte entre les protagonistes. Pendant leur dialogue, Tekla (Laure Wolf) ramasse machinalement la veste que Gustave (son mari interprété par Gaël Chaillat) vient de jeter au sol. Cyril Pointier bondit et s’adresse à la comédienne, tournoyant comme un avion : « On dirait que Tekla va lancer une lessive ! » Tekla ne peut pas commettre ce geste : elle n’est pas soumise mais, au contraire, terriblement moderne (le texte date de 1888), libre, indépendante…

photo : Benoît Linder

Le metteur en scène évoque le point de départ de l’intrigue : « L’aigreur et la rancœur de l’ex-mari remonte et il commence à imaginer le projet infâme de prouver au mari actuel que sa femme ne l’aime pas. » Les deux hommes s’entretiennent et sympathisent avant de, tour à tour, venir réclamer leur dû, estimant avoir beaucoup donné et peu reçu. « Quel amour on veut offrir, quel amour on veut recevoir ? La créance apparaît quand il y a ce décalage. » Médiocres, ils viennent quémander la monnaie de leur pièce. Tekla se retrouve « dans la ligne de mire. Mais cette cible leur échappe, non pas parce qu’elle est fuyante, mais parce qu’elle est hors de leur portée. Cette mesquinerie, cette comptabilité qu’ils sont en train de dresser les éloignent davantage. »

photo : Benoît Linder

Avec cette pièce en trois actes, l’auteur suédois parvient, selon Cyril Pointurier, « à disséquer ce qui est moteur dans les sentiments, ce qui nous anime dans le désir, dans le rapport à autrui. Ici, l’apparent canevas d’un théâtre bourgeois du XIXe devient prétexte à initier une pièce sur l’énorme effort de sincérité de chaque individu envers ses propres émotions. Pour comprendre l’autre, il faut rechercher au plus profond de soi. » D’après Strindberg (« charnellement, émotionnellement et artistiquement dépendant aux femmes »), l’amour ne doit pas être un carcan, « mais quelque chose qui libère les individus ». Très intéressé par les auteurs (Ibsen) ou cinéastes (Bergman ou Lars von Trier) scandinaves, Cyril Pointurier, qui mit en scène Nietzsche ou Tennessee Williams, aime, comme eux, interroger la liberté individuelle… dans cet espace confiné où chacun joue un rôle : le couple.

Vidéoprojecteurs utilisés comme simples sources lumineuses afin de « créer un rythme, des couleurs, une fébrilité du plateau », présence de l’élément liquide permettant « à la sensualité de s’exprimer »… la scénographie « sous expressive » met en exergue le jeu des comédiens. « J’essaye d’expliquer à l’éclairagiste, au scénographe ou même au metteur en scène (sic.) que tout repose sur les interprètes », dit-il en riant, heureux de parvenir, avec Créanciers, à « laisser libre champ à [s]es musiques personnelles ».

À Strasbourg, au Taps Scala, du 4 au 9 octobre
03 88 34 10 36 – www.taps.strasbourg.eu

À Obernai, à L’Espace Athic, mardi 8 novembre (dans le cadre de la tournée des Régionales)
03 88 95 68 19 – www.espace-athic.com

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