Ceci est mon corps

Georg Baselitz dans son atelier sur les bords du lac Ammersee, 12 octobre 2017. Photo : DR

Avec Corpus Baselitz, le Musée Unterlinden expose un ensemble inédit de 70 œuvres récentes de l’artiste allemand qui vient de fêter ses 80 ans. Il y montre de subtiles variations sur des corps usés par l’âge.

Après la très complète rétrospective récemment dédiée à Georg Baselitz (né en 1938) à la Fondation Beyeler et au Kunstmuseum Basel1, sont exposées au Musée Unterlinden des pièces réalisées depuis 2014 : vingt-six peintures, une quarantaine de dessins et trois sculptures monumentales. « Je peins entre moi et moi-même et sur nous deux. Voilà. Et de temps en temps d’autres, comme Otto Dix, nous rejoignent », affirme-t-il. L’ombre anxiogène et amicale du peintre expressionniste semble en effet bien souvent planer sur la vieillesse de Baselitz qui l’a découvert en 1957 alors qu’il était « encore étudiant à Berlin. C’était sa première grande rétrospective, il était encore inconnu à l’époque » confie-t-il dans la cité même où il fut interné à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Danse macabre. Si la représentation de son propre corps (et de celui de son épouse Elke) est un motif récurrent dans l’art de Baselitz depuis 1969, année où s’est opéré le grand renversement de la figure qui l’a rendu célèbre2, il en est aujourd’hui le sujet central. Unique et obsessionnel. Fondatrice fut la série de huit immenses toiles Avignon (2014), accrochée à la Biennale de Venise l’année suivante, ainsi nommée en référence aux expositions de Picasso, à la fin de sa vie, au Palais des Papes (1970 et 1973) unanimement qualifiées de “pathétiques barbouillages séniles” par la critique de l’époque. Manière de s’interroger sur sa place dans le monde de l’Art et de se demander s’il est encore in ou devenu out, elle marque le point de départ d’une réflexion plus profonde sur l’inévitable décrépitude des chairs et l’inéluctable finitude de l’être humain qui se déploie avec magnificence à Colmar. La mort est présente, tapie. La vie clignote, malmenée mais inextinguible. Des corps immenses et livides, seuls ou en couple, dont les têtes sont souvent absentes se détachent dans des halos clairs – blancs, jaunâtres, voire rosés – sur fond de charbon. Sont parfois perceptibles des réminiscences de toiles antérieures comme Der Nackte Mann (1962) qui entre en résonance avec Abwärts I (2016) : si le corps demeure tourmenté rappelant curieusement les complexions de Francis Bacon, la triomphante érection des sixties a été remplacé par un sexe définitivement flaccide.

Gisants contemporains. En arpentant les salles, le visiteur est environné d’ectoplasmes. Voilà ce que sont les ironiques Héros devenus : débarrassé de toute connotation politique, le corps se présente désormais dans sa totale nudité. Elle se déploie dans une étonnante diversité. Thème et variations. Des gigantesques fantômes fuligineux – où des peaux scarifiées semblent s’attacher désespérément à l’os – flottant dans le néant (Dystopische Glocken, 2015) aux dessins énergiques d’hommes en marche, encore décidés (l’ironique Young man descending, 2016), en passant par des toiles darkissimes où les formes humaines se distinguent à peine, noyées dans le noir (Di nuovo arrivato, 2015) : Baselitz interroge le grand âge avec une intense crudité et une bienveillante cruauté dans un subtil jeu de références. Sont ainsi convoqués Cranach, Duchamp, Fontana, Richter, Dubuffet, Dix évidemment, mais aussi Matthias Grünewald dont le Retable d’Issenheim est visible à quelques mètres des salles de l’exposition. « Lorsqu’on voit de tels tableaux il ne faut pas supposer que Grünewald était religieux. À l’époque, chaque tableau était réalisé dans un contexte religieux », rappelle le peintre allemand. Dans les gisants de Baselitz – pas si éloignés que cela de Mantegna –, aucune croyance, ni transcendance ne se manifestent, même si une lumière irradiante signale bien souvent la possibilité d’une résurrection.

 Au Musée Unterlinden (Colmar), jusqu’au 29 octobre

musee-unterlinden.com

> En partenariat avec le Goethe institut est organisé un cycle de conférences : Nu comme un peintre par Éric Darragon (13/09), Baselitz et la tradition du laid par Cathrin Klinsöhr-Leroy (25/09) et Nous nous élèverons : les dernières œuvres de Baselitz par la commissaire de l’exposition Frédérique Goerig-Hergott (04/10) – goethe.de

> Visites guidées les 23/09 et 28/10 

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