Burning bright and strong

Ditte Haarlõv Johnsen, Market Day, Philippe at home, 2018

La photographe danoise Ditte Haarløv Johnsen signe une double exposition à Strasbourg. Des portraits crus, bruts et intimes des Sisters de Maputo et d’anonymes du Neuhof.

Elle n’a que quelques mois lorsque ses parents quittent Copenhague pour Maputo. Le Mozambique vient
d’arracher son indépendance au Portugal mais très vite la guerre civile oppose le Frelimo (Front de libération du Mozambique) à un groupuscule soutenu et armé par l’Afrique du Sud et les États-Unis. Près de quinze ans de guerre civile laissent un pays exsangue, parmi les dix plus pauvres du monde. Si Ditte Haarløv Johnsen a quitté l’Afrique à l’adolescence avec son père, pour poursuivre ses études au Danemark, elle ne manque jamais de revenir, à chaque vacances estivales, sous les latitudes de son enfance. Débute ainsi Maputo Diary, mélange de journal photographique tenu lors de ses retours au pays, de portraits de membres de sa famille – sa mère et sa sœur cadette y sont toujours installées – et de rencontres impromptues. Celle qui lézardait dans les rues de la capitale du petit matin au soir avec sa bande d’amis tombe en 2000 sur deux jeunes hommes ouvertement homosexuels, quinze ans avant la dépénalisation des rapports entre personnes du même sexe dans cette société très religieuse.

© Ditte Haarløv Johnsen, Market Day, Astride, 2018

Ditte se lie d’amitié avec Ingracia et Antonieta qui l’introduisent dans leur cercle de “Sisters” comme ils aiment s’appeler. Le temps passe, le sida fait ses ravages : « Avec mon appareil photo, j’appuie sur l’intimité dans la douleur. Quand la mort est omniprésente, la vie brille plus vive et plus forte. » Loin d’une tendance au clinquant et à une esthétisation, ses cadrages sont désaxés, pris sur le vif, conférant un dynamisme à des portraits posés, jamais volés. Il y a les voiles des moustiquaires, les perruques et les costumes grâce auxquels chacun apparaît tel qu’il est réellement, la matière des matelas nus, des corps tachetés de cicatrices. La crasse, le dénuement, la peinture qui s’écaille. Et les regards, intenses. Toujours. Habités. Chargés. Qui disent beaucoup, avec une tendresse âpre. Ditte Haarløv Johnsen est aussi venue 15 jours à Strasbourg, en immersion au Neuhof. Quartier métissé avec ses sous-espaces, entre village et cités, Gitans et nouveau quartier BBC. Elle a écumé les marchés, entendu une partie de la quarantaine de langues parlées et signé une vingtaine de portraits dont une partie sera exposée devant l’Espace culturel Django Reinhardt, en lien avec La Chambre. Autant de passages au scanner des âmes croisées, enfouies sous des couches de vie. Pas de sourire, les traits tirés. L’écume des jours difficiles point tel l’intime dans l’infime.


À l’Espace Django
 (en extérieur) et à La Chambre (Strasbourg), jusqu’au 10 juin
la-chambre.org
espacedjango.eu

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