Bach to techno

Photo de Francesco Tristano par Marie Staggat

Francesco Tristano accompagne sur scène le légendaire pionnier de la techno, Derrick May, avec l’Orchestre national de Lorraine. Le musicien luxembourgeois confie sa passion pour « la vibration », une main sur son piano, l’autre branchée sur 220 volts.

Avec son dernier album, Piano Circle Songs, Francesco Tristano est retourné à ses premières gammes, aux blanches et aux noires. À la mélancolie d’un Debussy ou d’un Ravel. Signé sur le label electro InFiné (Rone, Bachar Mar-Khalifé ou Aufgang), le jeune homme a édité l’an passé un disque sans boîte à rythmes, 100% piano, chez Sony Classical. Un album solo, comprenant quelques duos et même un… Monologue for Two avec le trublion Chilly Gonzales. Le disque “tourne” autour de la notion de cercle, « la forme géométrique la plus parfaite », avec sa ritournelle mélodique revenant comme un leitmotiv. Un LP apaisé, éloigné des dance-floors, intimiste, enregistré avec des micros posés au plus près des cordes, où l’« on entend le claquement des ongles sur le clavier ». Francesco, qui cherchait à « amener l’auditeur dans l’instrument », évoque « une expérience sensorielle » à l’exemple de Third Haiku, voulu comme « une calligraphie se déroulant, un pinceau dessinant un idéogramme ». Piano Circle Songs est une parenthèse enchantée et impressionniste dédicacée à ses trois jeunes enfants ayant rempli le rôle de premiers spectateurs : une mélodie vibrante reprise en chœur par le trio de bambins = une bonne idée à garder.

Bien dans son époque, Francesco Tristano passe de la moiteur des clubs à Deutsche Grammophon, des basses puissantes aux notes de John Cage, des synthés et boîtes à rythmes à l’épure pianistique. Bizarre, vous avez dit bizarre ? « Bach est très présent dans ma vie, j’en joue chaque jour et m’incline devant ce qu’on nomme “la mélodie in nie” à son sujet. » Selon Francesco, le nerd du clavecin, très au fait des avancées techniques, n’est rien moins que « l’inventeur de la techno » ! Les frontières s’effritent (ceux qui ont assisté aux récentes prestations de Nils Frahm comprendront) et le Luxembourgeois vénère autant les Variations Goldberg de Gould que les compos minimalistes du berlinois Moritz von Oswald, la « pop star » Mozart que le raver Jean-Séb’, Jeff Mils, Richie Hawtin que Carl Craig dont il a ré-agencé quelques titres pour être interprétées par l’orchestre Les Siècles dans une version symphonique. Le résultat se nomme Versus et c’est passionnant. Francesco Tristano a récemment collaboré avec un autre géant de la techno : Derrick May. La transcription de ses « tubes » fut cette fois réalisée par Dzijan Emin, chef macédonien atypique à « l’énergie balkanique » qui s’est saisi de compositions répétitives, faites de boucles, pour les traduire, sans les trahir, en langage symphonique.

À Metz, l’Orchestre national de Lorraine entrera en scène pour « une grande fête » néo-classique rassemblant une centaine de musiciens, le « charismatique » Derrick May aux synthés et claviers et Francesco Tristano au piano qui jouera « librement », n’hésitant pas à s’« échapper de la structure ». La techno, musique un temps méprisée car jugée « destinée aux gays et drogués », suit un chemin identique au jazz, « musique d’esclaves et d’alcooliques », et devient fréquentable, allant même jusqu’à pousser la lourde porte de palais réservés à Mahler, Beethoven ou Wagner. Les cloisons tombent, l’émotion demeure.

   Derrick May, l’ONL, Francesco Tristano et Dzijan Emin, à la BAM (Metz), samedi 24 mars

trinitaires-bam.fr
orchestrenational-lorraine.fr

Derrick May, à La Laiterie (Strasbourg), samedi 17 mars

artefact.org 

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