De Keersmaeker au milieu de la vie

Photo d' Anne Van Aerschot

Six Suites pour violoncelle de Bach interprétées par Jean-Guihen Queyras et un danseur attitré – parfois Anne Teresa De Keersmaeker herself –, tel est le programme de Mitten wir im Leben sind/Bach6Cellosuiten.

Quelques vers de Martin Luther, « Mitten wir im Leben sind / mit dem Tod umfangen »¹ gravés sur la tombe de Pina Bausch, et des partitions de Jean- Sébastien Bach au milieu des rayons du soleil couchant, tels sont les ingrédients de la pièce d’Anne Teresa De Keersmaeker ponctuant de fort belle manière le red bridge project luxembourgeois². Un véritable hommage à la chorégraphe belge qui précède l’hommage XXL que lui consacrera le prochain Festival d’Automne³. Chacun de ses quatre danseurs interprète un solo sur une Suite tandis que la cinquième se déroule dans le noir, une fois le soleil disparu, avant de tous revenir pour la renaissance finale. De Keersmaeker, elle, joue les maîtresses de cérémonie, distillant ici une introduction, là des motifs de couleurs recouvrant des parties successives du motif géométrique dessiné au sol. Elle répète, chaque fois, une même “phrase” corporelle teintée en miroir des émotions du danseur accompagné. Vie et mort, notes s’étirant jusqu’au silence, fluidité des corps et mouvements suspendus… autant de motifs habitant cette pièce qui n’arrive pas par hasard dans son parcours.

Achterland © Anne Van Aerschot

« La conscience de l’Homme s’est développée de telle sorte que nous sommes conscients de notre finitude tout en pouvant nous imaginer l’éternité », confie-t-elle. Et de poursuivre : « Je pense que Bach a parfaitement su capturer cette tension entre la finitude réelle et l’éternité pensée. » Le violoncelliste Jean-Guihen Queyras révèle quant à lui le « tour de force d’illusionnisme musical » réalisé par le compositeur allemand qui a « écrit une ligne monodique qui donne l’illusion d’être poly phonique. C’est particulièrement marquant dans la fugue “à une voix” de la cinquième suite. En réalité, “fugue à une voix” est une contradiction dans les termes, puisqu’une fugue est par définition polyphonique. Et pourtant, il s’en sort avec panache. Il parvient subtilement à intégrer dans la mélodie des notes qui font comprendre l’harmonie implicite. La ligne de basse n’est pas jouée, mais toujours suggérée. Et notre cerveau y contribue volontiers, car nous sommes ainsi faits : à chaque mélodie que nous entendons, nous supposons une ligne de basse “cachée” qui nous aide à situer la mélodie sur le plan harmonique. » Lorsqu’elle a entendu cela, De Keersmaeker en a eu « les larmes aux yeux. Je crains d’avoir un faible pour une base organisatrice invisible. Jean-Guihen a transcrit la ligne de basse cachée des six Suites qui a joué un rôle déterminant. » Le schéma des pas se déroule dessus comme si elle était « la ligne portante » sur laquelle tout venait se greffer. Du visible et de l’invisible au service de la sensation.


Au Grand Théâtre de Luxembourg, vendredi 4 et samedi 5 mai dans le cadre du red bridge project
theatres.lu

À la Philharmonie de Paris, du 17 au 19 novembre avec le Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne
festival-automne.com

¹ Au cœur de la vie nous sommes / entourés par la mort
² La Philharmonie, le Mudam et le Grand Théâtre de Luxembourg ont porté toute cette saison un projet commun, créant des ponts géo- graphiques comme artistiques en proposant six productions autour de la grande chorégraphe belge
³ Le “portrait” se traduira en 14 pièces dans une vingtaine de lieux, du 15 septembre au 21 décembre festival-automne.com

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