Au cœur des ténèbres

Ernst Ferdinand Oehme, Prozession im Nebel, 1828, Galerie Neue Meister, Staatliche Kunstsammlungen Dresden

Il vous reste moins d’une semaine pour découvrir une exceptionnelle exposition au Städel Museum de Francfort (qui sera ensuite visible à Paris) : dans Schwarze Romantik s’ébattent fantômes, diables, cannibales, chauves-souris…

Le romantisme version dark (et ses prolongements dans le symbolisme et le surréalisme) : tel pourrait être le résumé lapidaire d’une passionnante présentation de plus de 200 pièces – peintures, sculptures, dessins, photographies… – placée sous le signe de la mélancolie et de la mort. L’exposition au titre explicite (reprenant une expression forgée dans les années 1930 par le critique italien Mario Praz dans son ouvrage La Carne, la morte e il diavolo nella letteratura romantica) est intelligemment organisée par son commissaire, Felix Krämer, conservateur du département d’art du XIXe et XXe siècle au Städel Museum. Tout débute dans les années 1770, une époque où certains artistes semblent vouloir exploiter la part de ténèbres des Lumières qui sont alors supposées déverser leurs vertus bienfaitrices sur l’univers tout entier. Face au triomphe de la Raison se déploie ainsi un art irrationnel où les Trois sorcières de Füssli (1783) semblent donner le la d’un sabbat fantasmagorique où se mêlent créatures sataniques, bestioles merveilleuses et inquiétantes (chez William Blake, par exemple, qui fait l’étrange continuateur de Jérôme Bosch) ou scènes d’apocalypse.

Johann Heinrich Füssli, Der Nachtmahr, 1790/91, Frankfurter Goethe-Haus – Freies Deutsches Hochstift

Halluciné, le visiteur est brinquebalé de salle en salle, côtoyant les horreurs de la guerre dénoncées par Goya – des corps démembrés voisinent avec des cadavres dévorés par d’étranges volatiles –, les dessins de Victor Hugo qui savait, en trois coups de pinceau, imaginer des compositions funèbres ou encore les paysages de Caspar David Friedrich qu’on croirait peints pour illustrer les plus tristes des Lieder de Schubert. Le parcours nous entraine jusqu’à la toute-puissance du rêve / cauchemar des surréalistes avec une étrange  ballerine / tête de mort de Dali, des extraits du Chien andalou ou encore les curieuses images de Brassaï. Nos préférés dans cette cohorte de spectres inquiétants, de démons parfois lubriques, de fées maléfiques, de pendus mélancoliques ou de ruines gothiques ? La lugubre Procession dans le brouillard (1828) d’Ernst Ferdinand Oehme qui semble cristalliser tout l’esprit de l’exposition… et une toile du trop mal connu Antoine Joseph Wiertz (à qui un extraordinaire musée est dédié à Bruxelles), Faim, folie et crime (1853) qui fut l’inspirateur de bien des surréalistes. On y voit une femme devenue folle car elle ne pouvait plus payer ses impôts : pour manger, elle a ainsi mis son enfant à cuire. Une petite jambe potelée dépasse de la marmite… Une allégorie macabre de la démence qui résonne douloureusement en ces temps de crise économique.

À Francfort, au Städel Museum, jusqu’au 20 janvier
+49 69 60 50 980– www.staedelmuseum.de

L’ange du bizarre, le romantisme noir de Goya à Max Ernst à Paris, au Musée d’Orsay, du 5 mars au 9 juin
01 40 49 48 14 – www.musee-orsay.fr

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