Apocalypse Now

Une tragédie shakespearienne réduite à sa quintessence plongeant dans l’esprit d’un puissant à la folie sanguinaire, tel est le MCBTH de Guy Cassiers, accueilli par le festival Musica[1. Voir l’article consacré au festival ici] et le TNS. Entretien avec le metteur en scène belge en répétition.

De la pièce, vous ne conservez que les cinq consonnes du titre (MCBTH) et les cinq personnages principaux. Pourquoi ?
Nous avons condensé l’histoire de manière à en faire une exploration de l’univers mental de Macbeth et à voir par ses propres yeux sa perte totale de réalité. Les trois Sorcières sont des chanteuses qui prennent de plus en plus de place. Le compositeur Dominique Pauwels[2. Lire notre article sur Ghost Road, Poly n°155 ] a créé un système consistant à traduire la langue de Shakespeare en tons donnant des mots musicaux. La pièce s’ouvre sur la rencontre de Macbeth avec les Sorcières qui sont en lui. Leurs mots sont projetés sur tout l’espace scénique, la musique agissant comme un virus le pénétrant et le guidant vers la perte de tout ce qu’il aime. Pour ce parti-pris dramaturgique, nous n’avions pas besoin des autres personnages. Macbeth ne quitte pas la scène, ses yeux changent l’environnement et ses sens nous guident dans une chambre mentale.

Le metteur en scène Guy Cassiers © Frieke Janssens

Le comédien André Wilms se dit « hanté par Macbeth, un type sympathique au début. Sa femme lui dit de tuer tout le monde et il y va. Met du sang partout. Une belle illustration de la folie du pouvoir… » Êtes-vous d’accord ?
Oui (rire) ! La “maladie” qui touche Macbeth en début de spectacle lui vient de sa mémoire, de son passé. Le mal n’entre pas dans la pièce, il est déjà là, issu des guerres dont ce Général de l’armée du Roi revient. Sa cruauté est celle qui a fait de lui un héros de la nation mais il est fatigué de tout cela et ne peut plus voir clair dans le présent. Il tombe dans les ténèbres. Il faut ne pas trop nous laisser happer par la noirceur et trouver les qualités de son caractère, même lorsqu’il perd toutes ses valeurs éthiques. Macbeth demeure un homme dont il faut saisir l’ambiguité.

Un lien se tisse entre Macbeth et le personnage de Kurtz dans Au Cœur des ténèbres de Conrad[3. Adapté par sous le titre de Cœur ténébreux par Guy Cassiers – www.toneelhuis.be]qui se perd aussi dans une violence outrepassant toutes les limites ?
Les deux personnages sont une continuité. Conrad livre la cruauté de Kurtz dans une langue poétique. Ce qu’on peut encore expliquer ne pose finalement pas de problème. Mais Macbeth est un cran au-dessus de ça : il perd totalement pied car il ne sait plus expliquer pourquoi ! Kurtz et lui sont au-delà de l’horreur et montrent comment l’extrême créativité de deux êtres, leurs rêves et leurs imaginations débordantes peuvent se tourner entièrement vers le mal.

Un autre élément les lie : Macbeth rentre de la guerre et Kurtz livre la sienne, au fond de la jungle africaine. Peut-on les voir comme abîmés – au sens de tombés dans un abîme – par elle ?
Macbeth est une victime de la guerre qu’il retourne contre ceux qui l’y ont envoyé. Il pense mériter mieux. Quand il voit le Roi pour lequel il s’est battu, il comprend l’erreur commise en donnant tant à un pays qui lui rend si peu. Cela lui est insupportable alors il saisit ce qu’il pense être en droit de lui revenir…

Onder De Vulkaan © Koen Broos

Comme dans Sous le Volcan[4. Joué en février 2011 au TNS, lire ici notre article paru dans Poly n°138], vous avez recours à une pluralité de médiums : caméra sur scène, projection de paroles et d’images, travail sonore. Vous nous plongez visuellement dans la tête de Macbeth comme dans celle du Consul de Malcolm Lowry ?
Nous avons emprunté la technologie propre aux nouvelles consoles de jeux vidéo où des capteurs de mouvement servent à jouer. Dans MCBTH, la position de l’acteur permet de projeter des images en réaction, sur toute sa silhouette isolée dans l’espace ou, à l’inverse, partout autour de lui. C’est une entrée dans l’imagination de Macbeth, dans ses fantasmes en créant des espaces magiques totalement incroyables. Le fait de grandir un acteur en projetant un gros plan d’un détail de son visage ou de jouer avec la lumière mélangée jusqu’à les rendre inextricables avec la vidéo, participe du trouble de l’esprit véhiculé par le texte.

Dans quel décor s’inscrivent les images de ces troubles intérieurs ?
Le décor est en bois avec un mur qui grandit doucement en direction des spectateurs. L’espace où évolue Macbeth se détruit petit à petit. Il est acculé. Le bois du point final de la pièce (la « forêt en mouvement » qui lui apportera la mort, NDLR) est présent dès le début. Trois éléments composent le décor : la langue avec la projection de lettres et de mots, la forêt dans une opposition entre nature et civilisation et le château par le biais d’images.

La musique live et le chant ont beaucoup d’importance dans cette création qui passe du théâtre à l’opéra. Les chanteurs deviennent des personnages à part entière, les victimes de la folie meurtrière de Macbeth qui, seul, continue de livrer son texte…
Au commencement, ils ne sont physiquement pas là. Des lettres puis des voix approchent Macbeth. Les corps n’arrivent qu’ensuite. Lui ne voit d’ailleurs que les trois chanteuses, pas les comédiens. Il prend en charge une partie du texte des autres personnages auquel il donne un contenu différent, renforçant son isolement. La couleur du doute – ce qu’il dit est-il vrai ou de l’ordre du délire ? – est plus grande que dans le texte de Shakespeare.

Quel est pour vous l’écho politique de Macbeth aujourd’hui ?
Macbeth a beau être roi d’un pays, il est perdu dans son environnement direct avec lequel il n’a pas de communication. C’est un outsider, un étranger. Il voit sa société avec une question dans le regard sur ce qu’il se passe autour de lui, incapable de le comprendre. À travers lui, nous percevons les dangers d’une société où règne trop d’individualité. À Anvers comme ailleurs en Europe, se développe un sentiment d’inconfort chez les gens qui pensent mériter beaucoup plus que ce qu’ils ont, comme Macbeth. Ils sont mécontents et malheureux alors même qu’ils possèdent beaucoup. Et ils reprochent cela à d’autres plutôt qu’à eux-mêmes. Certains partis extrémistes utilisent ce sentiment et attisent cette frustration pour opposer les gens et désigner des boucs émissaires. Voilà pourquoi il est nécessaire de jouer cette pièce aujourd’hui.

À Strasbourg, au Théâtre national de Strasbourg, du 2 au 6 octobre (en néerlandais surtitré en français)
03 88 24 88 24 – www.tns.fr
www.festival-musica.org

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