Allumer les lumières

Bon Voyage, 1727, gravure de Benoît II Audran d’après Antoine Watteau © Augustinermuseum, Städtische Museen Freiburg. Photo : Axel Killian

À Fribourg-en-Brisgau, La France au Siècle des Lumières et de la galanterie présente gravures et eaux-fortes, entre délicatesse graphique et critique sociale.

Le XVIIIe siècle français est un âge d’or pour l’estampe : à la mort d’Antoine Watteau (1684-1721), Jean de Jullienne (1686-1766) entreprend, par exemple, de faire graver l’œuvre complet du peintre pour réunir cet ensemble dans un recueil. Dans l’exposition, plusieurs pièces témoignent de cette épopée éditoriale pharaonique mettant en évidence l’importance du couple formé par l’auteur du dessin et le graveur (au nombre desquels gurent de jeunes artistes promis à un bel avenir, comme François Boucher), le second cherchant à restituer avec le plus de finesse possible l’art du premier. « L’eau- forte permet de reprendre la spontanéité et la
vivacité du trait du dessinateur », explique la commissaire Hélène Iehl. Illustration avec des compositions légères, presque vaporeuses de Watteau, gente dame ajustant sa mantille ou mystérieux personnage masqué. Combinée à la gravure au burin, « au rendu plus géométrique », cette technique crée les plus belles des quelque 80 œuvres ici rassemblées (et présentées de manière thématique : Nature, Couple d’amants, Facettes de la société, etc.) issues de la riche collection de Josef Lienhart, en partie donnée à l’Augustinermuseum par l’avisé bibliophile, en 2016.

La Pipe cassée , 1796, gravure d’Alexandre Clément d’après Nicolas André Monsiau © Augustinermuseum, Städtische Museen Freiburg. Photo : Axel Killian

Scènes galantes et esthétique rococo forment le substrat d’une élégante exposition. S’y croisent une gravure intitulée Bon Voyage irriguée d’un érotisme diffus, des ornementations décoratives composées de complexes rocailles où s’ébattent putti ou dragons, des scènes tirées des Métamorphoses d’Ovide – Jupiter, perfide, ruse pour séduire la nymphe Callisto – ou encore des animaux, lion s’en allant en guerre chez Jean de La Fontaine et chat coquin qui vient de bondir sur la table d’une cuisine pour y subtiliser de quoi se sustenter. En plein Siècle des Lumières, la satire s’invite souvent dans des gravures illustrant des ouvrages comme Les Voyages de Gulliver de Jonathan Swift ou La Pucelle d’Orléans. Voltaire s’y moque de Louis XV, tournant aussi le catholicisme en dérision : on voit notamment un moine libidineux débarquant aux Enfers et Jeanne partant combattre totalement nue – après qu’on lui eut volé son armure – des Anglais occupés à violer les pensionnaires d’un couvent. Rythmée par de raffinées statuettes de porcelaine, l’exposition ressemble à une réflexion sur les Lumières dans laquelle voisinent scènes officielles – comme un fastueux festin royal qui s’est tenu en 1782, belle image de propagande pour Louis XVI – et images poissardes d’une rixe dans une taverne ouvrière illustrant La Pipe cassée poème de Jean-Joseph Vadé, populaire vers 1750 : deux mondes séparés qui allaient se rencontrer avec violence quelques années plus tard.

Le chat doméstique , 1796, gravure d’Alexandre Clément d’après Nicolas André Monsiau © Augustinermuseum, Städtische Museen Freiburg. Photo : Axel Killian

À la Maison des Arts graphiques de l’Augustinermuseum (Fribourg-en-Brisgau), jusqu’au
3 juin

freiburg.de

Visite guidée avec la commissaire Hélène Iehl, jeudis 12 avril et 17 mai à 15h

 

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