Une reine sans royaume

Photo de Jean-Louis Fernandez

Actrice, la nouvelle pièce de Pascal Rambert, artiste associé au Théâtre national de Strasbourg, nous convie au chevet d’une immense comédienne moscovite. Une réflexion intime sur l’art du théâtre et ce qui nous réunit.

Depuis plusieurs années il ne cesse de le répéter. Le sens de son écriture est de « donner de grands rôles aux femmes ». Consciemment, Pascal Rambert s’attache à renverser le déséquilibre habituel voulant que les dramaturges s’intéressent aux hommes, laissant majoritairement des rôles secondaires à leurs moitiés. Sa dernière pièce creuse un peu plus ce sillon. Actrice est né de longs séjours au Théâtre d’Art de Moscou, l’antre de Stanislavski où triompha Tchekhov. Un lieu gorgé d’histoire, celui du théâtre naturaliste célébrant les grands interprètes. L’auteur et metteur en scène français y a travaillé, interrogeant les membres de la troupe dont certains, octogénaires, jouèrent devant Staline. Ainsi naquit l’envie d’écrire pour ces stars que le tout Moscou vient applaudir et admirer, années après années. L’auteur de Clôture de l’amour et Répétition monte aujourd’hui ce texte en France avec une distribution internationale d’interprètes croisés au gré des pérégrinations de tournées l’ayant conduit au Japon, en Finlande ou encore en Chine. Eugénia, LA grande actrice de son époque, « l’arracheur national de nos larmes », se meurt sur son lit d’hôpital. Un à un, sa famille et ses collègues lui rendent visite comme à une veillée funèbre se déroulant au milieu de 250 bouquets de fleurs.

Photo de Jean-Louis Fernandez

Un clin d’œil à ceux que les spectateurs russes viennent offrir en masse aux comédiens au moment des saluts, mais aussi à « ces petites guérites blanches souvent sous des éclairages au néon qui sont presque un monde de lumière », ouvertes très tard dans la nuit, qui ont fasciné Pascal Rambert. « Un Moscou tout blanc, des fleurs dans un cube de verre, du blanc, du néon. Comme mes pièces ! » La mort qui rôde autour de Marina Hands « les rend tous fous » : sa sœur Ksénia partie depuis 20 ans au Monténégro en capitaliste avide d’argent, son époux Igor, ancien amant d’Eugénia, Pavel son dernier mari aussi génial qu’alcoolique, ses enfants mais aussi ses parents, nostalgiques d’un pays qui se meurt. Comme souvent, l’amour dans les familles se cache derrière des excès de sentiments contradictoires, des prises de bec insolubles. Sa disparition qu’elle sent venir les terrifie. Le lyrisme de ses visions mystiques de ciels de feux et du dieu foudre lorsque la douleur la laisse tranquille, n’a d’égal que la dévotion qu’on prête à son jeu sur scène. Galina, sa maman évoque sa manière de laisser « grandir des lacs de larmes en nous, organiser le trajet du fond du corps jusqu’au bord des yeux et lâcher le débordement dans le noir de la salle. » Une ode à ce métier : « Un acteur c’est un désir de spectateurs », ces derniers étant « des fauves qui aiment regarder d’autres fauves dépecer une proie qui s’appelle la vie », livre un ami du Théâtre d’Art. L’imaginaire porté aux nues prend corps dans une dernière partie : pièce bouffonne dans la pièce. Une manière de réunir tout le monde, de faire perdurer le théâtre et la poésie. Une dernière danse avec Eugénia. Une oraison en fleurs avant les pleurs.

Au Théâtre national de Strasbourg, du 24 janvier au 4 février – tns.fr

> rencontre avec l’équipe artistique d’Actrice, samedi 27 janvier à la Librairie Kléber à 14h30

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