Accords parfaits

Photos de René Riis

Avec Torsten Michel au piano, la Schwarzwaldstube brille plus que jamais au firmament des restaurants triplement étoilés. Nous avons rendu visite au chef allemand, en Forêt noire.

Il a commencé à travailler dans la maison il y a une quinzaine d’années, gravissant tous les échelons, jusqu’à en devenir sous-chef, évoluant ensuite en duo avec le mythique Harald Wohlfahrt1. Lorsque celui-ci quitte la Schwarzwaldstube en juillet 2017, le nom de son successeur s’impose tout naturellement : Torsten Michel est désormais aux commandes du vaisseau amiral gastronomique de l’hôtel géré par la famille Finkbeiner2, véritable havre de paix où règnent luxe et harmonie. Le couperet de l’édition 2018 du Guide Michelin est tombé : les trois Étoiles du restaurant (depuis 1992 !) ont été logiquement maintenues. Si l’on perçoit évidemment l’empreinte de son mentor dans la cuisine du quadra natif de Dresde, il est aisé de constater qu’il s’en écarte, par touches successives, presque pointillistes. Le fruit de ses stages chez le prince du détail Heston Blumenthal (The Fat Duck à Bray), Jean-Georges Klein (époque de L’Arnsbourg à Baerenthal), un des plus inventifs créateurs français, et René Redzepi (Noma à Copenhague) qui aborde la nature de manière frontale ? Peut-être, mais c’est surtout sa personnalité qui s’exprime dans l’assiette.

Si la philosophie du chef n’est pas surprenante – « Une cuisine française classique faisant le choix de la légèreté » –, ses réalisations éblouissent, accompagnées par des flacons choisis avec une précision chirurgicale par le sommelier alsacien Stéphane Gass, officiant en ces murs depuis 1990. Peu disert, Torsten Michel préfère laisser parler ses plats, donnant une étonnante illustration à la célèbre maxime de Saint Vincent de Paul : « L’humilité est le chemin qui conduit à la plus haute perfection. » C’est bien de perfection dont il s’agit ici – et de sacré, d’une certaine manière – avec des réalisations à la transcendante simplicité comme un tronçon de lotte à la semblance d’un concentré ensoleillé d’été, préparé avec une sauce au beurre blanc à l’estragon et accompagné de fenouil flambé au Ricard, de haricots et d’échalotes au vin rouge. On pense à la musique de Mozart : une joie évidente et limpide à l’écoute, sous-tendue par une complexe construction rythmique élaborée avec soin… comme dans un pigeon d’Alsace laqué au miel de fleurs de pissenlit et au poivre du Sichuan – à la cuisson extatique – flottant sur un jus aux baies de genièvre. S’y discerne un jeu dialectique mutin entre échappées sucrées et notes salées. Accompagné d’endives glacées et d’une charmante poêlée de chanterelles, le volatile est en galante compagnie, réussissant à transporter les convives de bonheur.


1 Voir Poly n°170
2 L’histoire débute avec Tobias qui fondent une taverne appelée Traube (la grappe) pour les bûcherons et les charbonniers du coin en 1789

La Schwarzwaldstube se trouve dans l’Hôtel Traube Tonbach, Tonbachstraße 237 à Baiersbronn. Ouvert du mercredi soir au dimanche (réouverture le 23/08 après le congé estival).
Menus de 165 à 225 €
traube-tonbach.de

 

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