À voix haute

©JeanLouisFernandez

Rappeur engagé, poète libano-jurassien, apatride revendiqué. Membre de La Canaille ou de Zone Libre auprès de Serge Teyssot-Gay (ex-Noir Désir), Marc Nammour est un artiste généreux, conviant tous les laissés-pour-compte dans son département, le 99.

C’est le numéro attribué aux personnes nées à l’étranger. Ceux dont « l’identité est multiple, complexe, s’opposant à cette identité qui se veut de plus en plus nationale, étriquée, fermée sur elle-même », selon Marc Nammour qui vient du 99, « le plus grand département de France, fantôme, celui des “autres” », et l’affirme crânement. Né sous les bombes au Liban en 1978 et débarqué à Saint-Claude en 1986, il porte le chiffre de ce « territoire inconnu » en étendard. « Binational, ma langue est celle des ventres creux, je reste à la marge et je revendique le chant de l’entre-deux », clame-t-il dans son spectacle, création mise au point avec la complicité de Lorenzo Bianchi Hoesch, compositeur passé par l’Ircam, un “99” lui aussi, un compatriote. La musique, à l’image de la mixité de mise dans cette région imaginaire, est ouverte sur le monde : une « tambouille raffinée », métissée et harmonieuse, composée d’aliments hétéroclites, maqâm irakien (ensemble de suites instrumentales), râga du fin fond de l’Inde, musique contemporaine ou jazz électronique. Nammour pose sa prose, sa poésie scandée sur ces mélopées mixées dont chaque note passe par l’ordinateur de son compagnon qui traite les instruments en temps réel, qu’il s’agisse de la flûte bansurî de Rishab Prasanna, du santur (sorte de cithare) d’Amir ElSaffar ou de la contrebasse de Jérôme Boivin. L’ensemble est ensuite diffusé via des enceintes qui encerclent le public a n de l’immerger dans le son hybride du groupe et le flow libre de la canaille rappeuse, de le placer « dans l’œil du cyclone ».

 

Marc mon Nammour
« On ne naît pas 99, on le devient ! » L’artiste a un grand cœur et un immense pays sans frontières : il convie tous ceux qui le souhaitent à le rejoindre dans sa contrée rêvée, même nous les 67, 68, 90, 25, 51, 08, 54 ou 57. « À chacun de s’emparer de ce département inconnu du prof d’Histoire-géo de mon enfance et d’inventer une langue, d’écrire une constitution, de le définir… de la manière la moins figée possible. Petit, je vivais cette particularité comme une tare, mais avec le temps c’est devenu une fierté. Celui qui a un problème avec ça subira le jeu de ma plume », menace-t-il en brandissant son stylo comme d’autres agitent leur fusil. « Je suis
en accord avec le monde, en évolution permanente. C’est un signe de bonne santé ! » Pour Marc Nammour, « nous subissons nos frontières car nous ne les avons pas choisies. J’ai davantage de points communs avec un ouvrier péruvien qu’avec un bourgeois du XVIe. Une infime portion de la population possède la majeure partie des richesses du monde et je m’adresse donc au 99% restant. Nous sommes la majorité ! » Il se questionne : « Les nuages radioactifs, la misère, le pétrole, l’argent, les armes et la drogue circulent librement », alors pourquoi pas les hommes ? « Nous sommes devenus nomades par la force des choses, sache qu’on passera par la fenêtre si la porte est close. […] Nos poésies pilonnent les fondations de leurs murs odieux. » Auprès de ses camarades, il harangue ceux qui se réfugient derrière leurs œillères. Son spectacle est une ode à la langue, la répartie et l’éloquence, à « la parole libre qui refuse l’uniforme », aux mots qui voyagent. Celui qui refuse d’« embrasser la norme », est entré en lutte « contre la consanguinité ». Il milite pour la différence et les passerelles sur des sonorités entremêlées, cherchant à faire dérailler « le train-train du métro-boulot-dodo » grâce à la poésie, « un rempart à la dérive ».


Au Théâtre national de Strasbourg, mercredi 16 et jeudi 17 mai, dans le cadre de L’Autre Saison
tns.fr
À la BAM (Metz), vendredi 18 mai
trinitaires-bam.fr

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