À fond(s) la forme

Dans le cadre de Pièces Montrées, ensemble d’expositions d’œuvres issues des collections du Frac Alsace sur quatre sites alsaciens, le Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg présente Formes et Forces. Visite avec son commissaire, le plasticien Raphaël Zarka, qui dresse son portrait chinois.

Cette année, les vingt-trois Frac fêtent leur trentième anniversaire en programmant une série d’expos, en leur sein et en d’autres lieux, afin d’offrir une vison kaléidoscopique de leurs collections, très hétérogènes. Pour mettre en avant leur travail d’accompagnement auprès des artistes, ces derniers ont été placés au centre de l’événement : des plasticiens sont ainsi associés au commissariat. Le directeur du Frac Alsace a tout de suite songé à Raphaël Zarka pour interroger le fonds, au MAMCS (avec Formes et Forces) et au Frac (Incubus) : « Son regard est subjectif, transversal. Il ne s’est pas livré à une analyse systématique de la collection, mais a fonctionné par goût et affinités », résume Olivier Grasser. Les deux propositions fonctionnent comme un diptyque, le premier volet se voulant une « balade contemplative » et le second, plus « critique », soulevant des questions d’ordre politique et social.

À quelques jours du vernissage de l’exposition du MAMCS, l’artiste examine les toiles, photos ou vidéos, bien dans sa nouvelle peau de curateur. « Le spectre va de figures majeures, des créateurs qui ont marqué l’histoire de l’art et ma “petite” histoire, à des gens de ma génération, qui sont parfois des amis », indique le plasticien qui n’avait « pas d’idée préconçue sur la manière de fabriquer un projet ». Il n’a pas opté pour une thématique, ni pour un processus (« prendre toutes les œuvres produites en 1989, par exemple ») et a vite ressenti l’envie de faire une expo sur sa « passion pour l’art. Mon choix est résolument intuitif. C’est ainsi que je procède dans mon propre travail. Ensuite, il a fallu analyser ces intuitions pour faire une véritable exposition et pas un simple accrochage. »

Balade dans les collections

Formes et Forces s’ouvre sur une photographie de Jean-Marc Bustamante (un chemin forestier) ou encore une œuvre  d’Henri Cueco, qu’Estelle Pietrzyk, directrice du MAMCS, a soumis à Raphaël. Il s’agit d’un paysage structuré grâce à des cadres géométriques (un triangle et un trapèze) de Sentiers dans l’herbe à la mine de plomb sur papier. « J’espère que l’exposition est elle-même un sentier, proposant plusieurs pistes. » À proximité, l’Aile de faucon, photographie en noir et blanc de Balthasar Burkhard, illustre parfaitement les préoccupations de Zarka (qui fait partie des quatre nommés au Prix Marcel Duchamp 2013). « Je vois dans les damiers de cette aile déployée ce que j’ai trouvé chez des théoriciens comme Roger Caillois qui font le lien entre la géométrie naturelle et la structuration de la raison, du mathématicien », développe le plasticien à la pratique presque documentaire, qui recherche obstinément des figures géométriques dans les arts ou la nature et qui souligne la migration constante des formes et des idées à travers les âges.

Au milieu de la salle, une toile de Mario Merz, un maître pour lui. Mulino di Lanzo (1982) fait office d’axe à Formes et Forces : « Il n’y a pas de centre à cette exposition et la figure géométrique qui lui correspond le mieux est l’ellipse : elle est bifocale, comme l’œuvre de Merz, une double spirale. L’exposition oscille entre la forme et la force qui pour moi relève du processus, chez Cy Twombly ou Henri Michaux par exemple. La notion de force est également très présente dans les ponts suspendus de Klaus Jung avec leurs câbles tendus. »

Géométrie dans l’espace

Après avoir traversé un « couloir des énigmes », notamment avec une série de collages / dessins signés Twombly (des sortes de rébus visuels), le visiteur pénètre dans un espace “plus pictural” rassemblant des œuvres d’Adam Adach, Sylvie Fanchon ou Yvan Salomone. « Raphaël Zarka s’intéresse davantage à la sculpture qu’à la peinture, mais ce médium l’a accompagné dans son parcours d’artiste », décrypte Olivier Grasser. Les aquarelles de Salomone résonnent particulièrement avec sa propre démarche, celles-ci représentant des formes simples (containers…) aux abords de zones portuaires. « Des critiques d’art avaient déjà fait le lien à ma place, avant même que je ne connaisse Salomone. C’est vrai que j’y ai vu quelque chose de mes Formes du repos », développe Raphaël Zarka, évoquant sa série photo débutée en 2001, montrant des figures de béton parfaitement géométriques qui semblent avoir été posées par hasard, dans des terrains vagues ou des coins de natures, et peuvent donner lieu à des répliques réalisées par l’artiste. « Il y a quelque chose de très sculptural chez Salomone : ça a à voir avec les Becher qui font le lien entre le minimalisme, le ready-made et la photographie documentaire. » Des pratiques chères à l’artiste.

Formes et Forces, à Strasbourg, au Musée d’Art moderne et contemporain, du 5 octobre au 9 février 2014

03 88 23 31 31 – www.musees.strasbourg.eu

Incubus, à Sélestat, au Frac Alsace, du 11 octobre au 9 février 2014

03 88 58 87 55 – www.culture-alsace.org

Chaud, froid, sec et humide, à Haguenau Musée Historique / Chapelle des Annonciades, du 12 octobre au 9 février 2014

La collection impossible (commissaire invité : Roland Recht), à Saint-Louis, à la Fondation Fernet-Branca, du 20 octobre au 23 mars 2014

www.culture-alsace.org

Yvan Salomone, Sans titre, 2001-2003, collection Frac Alsace
© ADAGP, Paris 2013

 

 

 

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