La musique, où est-elle aujourd’hui ?

© Pascal Bastien

Compositeur qualifié par certains de “Mozart du XXIe siècle”, directeur du Conservatoire national supérieur de musique de Paris et chef d’orchestre à ses heures, Bruno Mantovani est aujourd’hui au cœur de la musique. Il nous livre sa vision du répertoire contemporain et bat en brèche des idées reçues qui ont la vie dure.

Dans une chanson aux référents beethoveniens, Muss es sein ? Es muss sein !, Léo Ferré se moquait en 1976 d’une certaine musique  contemporaine : « La Musique. Où est-elle aujourd’hui ? / (…) Tu la trouves à Polytechnique / Entre deux équations, ma chère / Avec Boulez dans sa boutique / Un ministre à la boutonnière ». Qu’en pensez-vous ? J’ai pas mal de tendresse pour Ferré, politiquement et humainement, mais cette affirmation est symptomatique et caricaturale. D’abord, elle est absurde, puisque la musique de Boulez n’est pas écrite avec des équations et que longtemps – jusqu’à l’élection de Pompidou – il a été en conflit avec le politique, mais ce n’est pas le plus important. Derrière Boulez, c’est bien sûr toute la musique contemporaine – et je m’inclus dedans – qui est visée. En 2012, on en est toujours là, à affirmer que ce répertoire ne touche pas les gens. C’est faux : un véritable public existe, contrairement à ce que l’on dit, et tous les interprètes classiques font de la création : on est loin de l’époque où seuls des gens comme Maurizio Pollini défendaient à la fois les classiques et les contemporains ! La phrase de Ferré est une absurdité démagogique qui a malheureusement encore de beaux jours devant elle !

Comment néanmoins rendre plus populaire un répertoire souvent considéré comme exigeant ? La pédagogie, encore et toujours ! J’ai toujours participé à une forme de vulgarisation de la musique avec grand plaisir et puis ma génération ouvre très facilement les portes de l’atelier. Un simple exemple : en 2001, j’étais en résidence au festival Octobre en Normandie où je créais une pièce pour basson et piano. J’y avais associé le public qui était convié, toutes les six semaines, à assister in vivo au processus d’élaboration du concert, des premières esquisses aux ultimes répétitions. À la création de l’œuvre, les gens étaient familiarisés avec mon univers… mais de telles initiatives sont noyées dans un immense flot.

Que voulez-vous dire par là ? Au retour d’une des séances que j’évoquais, dans un état de grande joie, je tombe par hasard sur une quotidienne de Laurent Ruquier sur France 2. Nous étions quelques jours après le 11 septembre et l’animateur demandait qui avait prononcé la phrase comparant les attentats à « la plus grande œuvre d’art réalisée ». Un des chroniqueurs trouve la réponse : Karlheinz Stockhausen. À peine le nom prononcé, tous les participants de l’émission ont fait en chœur : « Tuut-Tuut !!! Pouet-Pouet !!! » En une seconde, tous les efforts que j’avais faits ont été anéantis par le service public audiovisuel dont une source de financement importante est la redevance. Le même Ministère, celui de la culture et de la communication, donne de l’argent à l’Ensemble intercontemporain et à Laurent Ruquier pour flinguer le répertoire que défend l’EIC. C’est schizophrénique et terriblement frustrant d’autant que le Ministère se démène vraiment pour soutenir la création.

Finalement cette image d’Épinal de la musique contemporaine – chiante, élitiste, compliquée… – ne vient elle pas aussi de l’impression, fausse mais largement partagée, qu’elle est déconnectée de l’histoire et qu’elle est apparue ex nihilo ? Effectivement, avec un effet pervers supplémentaire : les compositeurs du courant néo-tonal affirment qu’ils sont au bout de toute une chaîne et regardent le passé d’un œil nostalgique. Certains le font avec une noble  conviction que je respecte, mais bien d’autres ont un discours “politique” affirmant que, dans l’histoire de la musique, il y a une erreur, que celle-ci se nomme Schoenberg. C’est ce discours idéologique réactionnaire que je n’accepte pas !

Aujourd’hui, quels sont les liens entre musiques savantes et sonorités populaires ? C’est une question que je ne me pose pas, pour moi c’est tellement naturel : j’ai fait des pièces fondées sur la techno ou le jazz comme sur Gesualdo, Bach ou Schubert… De toute façon, notre oreille est conditionnée par la musique mainstream ; il est ainsi devenu impossible de faire des courses dans un supermarché sans y être soumis… Il y a du bon dans ces sonorités aussi, une forme de clarté du son, mais elles sont en train d’imposer des temps de concentration très courts à tout le monde.

Le répertoire contemporain est-il contaminée par les canons de l’entertainement ? Aujourd’hui, beaucoup de compositeurs n’abordent plus la grande forme ou considèrent qu’une œuvre de quinze minutes – une miniature pour moi – appartient déjà à cette catégorie. Je n’aime pas trop ce côté monothématique : prendre une idée, en faire une partition divertissante de sept ou huit minutes. Pour moi, il s’agit d’une attitude artistique très conservatrice, même si on est souvent et paradoxalement, dans le langage musical utilisé, à la pointe de ce qui se fait maintenant : on ne cherche que la pompe et la superficialité.

Trois œuvres de Bruno Mantovani sont à découvrir au cours du festival Musica de Strasbourg du 21 septembre au 6 octobre
Concerto de chambre n°2, dans le cadre de la “tournée CG67”, jeudi 27 septembre à l’Espace Rohan de Saverne, mardi 2 octobre à la MAC de Bischwiller et samedi 6 aux Tanzmatten de Sélestat
Suonare, vendredi 5 octobre à la Salle de la Bourse
Concerto pour deux pianos, samedi 6 octobre, au PMC
www.festivalmusica.org
www.brunomantovani.com

 

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